Expériences fortes vécues dans la mission
Pour illustrer des expériences fortes vécues dans ma mission, j’ai choisi de vous partager 3 rencontres…
Kelly a 18 ans. Elle est arrivée enceinte de 6 mois. Elle attend une fille qui « se bagarre » déjà avec son père, qui fait exprès de bouger la nuit pour l’empêcher de dormir… Issue d’une famille modeste, elle a connu la violence et l’alcoolisme d’un père dès son plus jeune âge. Confiée à sa grand-mère parce que son beau-père ne la supportait pas, cette dernière l’a mise à la porte lorsque Kelly lui a appris sa grossesse. Le père de l’enfant est sans travail car … sans papiers ! Isolée au début de sa grossesse car rejetée par sa famille, ses différentes hospitalisations ont fait que sa mère et sa grand-mère se sont inquiétées pour elle. C’était la 1ère fois qu’elle était objet d’attention, la 1ère fois que sa mère se préoccupait d’elle. Et elle en avait tellement besoin qu’elle a négligé sa santé et les risques qu’elle faisait courir à son bébé. Un bébé prématuré ? Ce n’était pas sa préoccupation. Comment pouvait-elle se préoccuper de quelqu’un alors que personne ne s’était préoccupé d’elle jusqu’à ce 2ème trimestre de grossesse ? Difficile… impossible pour elle. Son bébé n’avait d’existence que de la faire exister, elle, différemment aux yeux de ceux qu’elle aime. Depuis la naissance, elle joue à la poupée pour se faire plaisir, elle ne peut pas plus. Alors, elle met le biberon dans la bouche de sa « poupée » dès qu’elle pleure ou la laisse à la voisine quand cela n’est pas efficace. Elle a aussi compris que sa mère et sa grand-mère étaient encore plus présentes quand Léa était malade… alors Léa est malade. Elle l’emmène aux urgences pour une gastro alors que ce n’est qu’un « trop plein » de lait, pour une bronchiolite alors que c’est un simple rhume. Elle n’entend pas, car ce qui est important, c’est de voir que sa mère se déplace dès elle l’appelle. Enfin, elle est disponible quand elle a besoin d’elle… Et elle a tellement à rattraper qu’elle n’a pas la disponibilité affective de créer un lien affectif sécure avec son propre bébé. Le bébé, c’est elle, enfin… Lorsque nous lui demandons des nouvelles de son bébé, elle nous parle d’elle. Pour remonter son linge dans son studio, elle pose Léa comme cela sur son linge mouillé, ballot de linge parmi les autres ballots de linge. Et son bébé ne s’y est pas trompé : fuite du regard ; hyper vigilance dans son sommeil ; mouvement de recul quand sa maman la plaque contre elle ; temps d’éveil importants, trop importants pour son âge ; observation minutieuse de son environnement et pas un sourire. Elle feint même de dormir au moment des soins pour fuir une mère qui regarde ailleurs, élève la voix quand son petit pied tape son ventre « arrête de me faire mal, tu le fais exprès ! », la change de position brusquement, lui prodigue les soins sans tenir compte de son bien être ni de sa sécurité. Et lorsque Léa perçoit qu’elle est enfin dans son berceau loin de la présence maternelle, elle ouvre les yeux le visage apaisé !!! Léa a 2 mois… Jour après jour, semaine après semaine, l’équipe du centre maternel est à leurs côtés pour les soutenir toutes les 2. Nous ne pourrons pas changer la maman et Léa doit s’en accommoder mais nous tentons de faire découvrir à la mère que son bébé existe en vrai. Peut être que ce bébé pourra exister un jour dans sa tête. Nous sommes là tous les jours pour soutenir Léa dans son existence, la faire exister à travers les mots, donner une réalité à ses émotions au cours des soins, des biberons. Accompagnement du quotidien à travers les petites choses concrètes de la vie avec l’espoir qu’elles arriveront à se rencontrer au cours de ces 3èmes années de vie Léa. Accompagnement long, délicat pour faire découvrir à la mère ses capacités maternelles tout en tenant compte de l’urgence des besoins de bébé pour ne pas qu’elle s’épuise et développe une dépression du nourrisson.
Une 2ème rencontre, celle avec Laëticia. 19 ans. Depuis l’âge de 6 ans, elle passe de foyers en foyers, de familles d’accueil en familles d’accueil. Son père : leurs relations sont compliquées. Sa mère : elle n’a plus de nouvelles depuis longtemps et ne veut pas en parler. Jeune isolée, elle n’a qu’une copine qu’elle a connue en foyer. Ensemble, elles ont fait les « 400 coups » et ont fuguées jusqu’à Paris le jour de leurs 18 ans. C’est sa copine qui lui a fait découvrir sa grossesse. Le père de l’enfant est devenu violent à l’annonce de la grossesse. Elle a coupé les liens avec lui. Laëticia se présente comme une jeune femme timide, fuyante, vide. Elle ne peut mettre de mots sur aucune de ses émotions, rien de la dérange, elle se fait oublier. Le seul moment où son regard s’illumine, c’est lorsqu’elle parle de son futur bébé, des mouvements qu’elle ressent. Sinon, nous pouvons rester de longs moments en silence, juste être là pour ne pas être seule. Elle prépare avec beaucoup de soins les affaires de bébé, juste ce qu’il faut. L’accouchement se déroule bien mais les déceptions vont se succéder. Maylice nait avec une hanche luxable. Un lange spécial est mis en place, contraignant. « Mon bébé n’est pas comme les autres ». Il est compliqué de lui mettre un pantalon et la mise d’un collant est sportive ! Et pourtant, maman est délicate dans ses gestes, enveloppe Maylice par sa parole. Une autre déception, bébé refuse la mise au sein. Ce sont des hurlements dès que sa bouche touche le sein de sa mère. J’en suis moi-même désarçonnée. Incroyable ! Toutes les techniques de mise au sein sont mises en échec par ce petit bout de femme de 3 jours, maman est vaincue, elle laisse tomber d’autant que bébé perd du poids. La prise des biberons qui se passait bien au début devient de plus en plus compliquée. Maman reste patience et attentive à son bébé pour l’accompagner et l’encourager. Mais Maylice prend difficilement du poids. Son sommeil aussi s’est dégradé. Elle a maintenant un sommeil agité, peu profond. Ses temps de sommeil sont courts, 10 minutes environ. Une autre déception, son visage est crispé quand elle regarde sa mère. La seule manière que sa maman ait trouvée pour la détendre est de la « balancer » à bout de bras à l’opposé du visage maternel. Médicalement, rien ne parait expliquer ce mal être de bébé. Alors, que se passe t-il entre elles ? Qu’est ce que Maylice veut dire à sa maman ? Pendant 1 mois ½, Laëticia est restée souriante, patiente, attentive. Mais maintenant elle craque. Elle n’en peut plus d’entendre ces pleurs, elle n’en peut plus de devoir stimuler Maylice à chaque biberon pour qu’elle prenne quelques ml de lait. Maylice met en échec sa maman. Que se reproduit-il de l’histoire de Laëticia d’avec sa propre mère ? Que se dit-il de cette histoire que maman et bébé ont commencée il y a plus de 9 mois de manière plutôt difficile ? Maylice est le miroir de la détresse et de la souffrance de Laëticia. Mais cette dernière ne veut rien nous en dire. Et nos mots ne suffisent pas à bébé pour se sentir en sécurité, pour se sentir entendue et soutenue. Notre présence, notre accompagnement quotidien rassure et soulage la maman. Elle y trouve des forces pour pouvoir supporter les pleurs de bébé, les biberons difficiles, les siestes et les nuits trop courtes. Mais pour le moment, ils ne sont pas suffisants pour parler, se mettre en mots, raconter son histoire, cette douleur qu’elle porte en elle et que son bébé souffre avec elle…
Une 3ème rencontre : Marie-Louise, congolaise de 24 ans. Mariée de force et abusée par son mari à 16 ans, elle arrive à s’enfuir du foyer conjugal et rejoint une partie de sa famille en France dont sa mère impliquée avec ses frères et sœurs dans le trafic de drogue. Sa mère la renie pour avoir quitté son mari et la charge aussi d’être la cause de son propre divorce. Un jour, elle se rend à l’hôpital pour des douleurs abdominales. Elle accouche d’une petite fille…accouchement sous X, elle ne savait pas qu’elle était enceinte. Elle a vu son bébé à 1 mois mais cette rencontre a été insupportable. Aujourd’hui, sa petite fille a 8 ans et elle se demande où elle vit, si elle a une famille…Pendant plusieurs années, Marie-Louise a transporté elle aussi de la drogue, « j’ai fait le mulet » dit-elle, toutes ses connaissances sont dans le milieu. De nouveau enceinte, elle ne sait plus où est le sens de sa vie. Elle se sent incapable d’être mère. Elle ne supporte pas de sentir les mouvements de son bébé en elle. Alors, quand il bouge, elle frappe son ventre avec rage pour qu’il arrête. Elle ne veut pas de ce bébé qui est déjà pour elle source de violence et ne veut pas revivre un accouchement sous X. Peut être acceptera t’elle un accouchement en vu d’un abandon ? Elle pourra alors laisser des choses d’elle à son bébé. Elle veut aussi sortir de ce milieu mafieux de la drogue mais toute sa famille fait pression…et si elle le quitte, elle sera rejetée par le reste de sa famille. Qui lui restera t-il ? Que de tensions pour une femme qui est déjà en état de fragilité de part sa grossesse ! Peu à peu, nous cheminons avec elle. Douceur, délicatesse, écoute, attention à son corps… Elle découvre que des liens peuvent se créer autrement que dans la violence et la peur. Et maintenant, elle désire découvrir ce qui se passe en elle étant enceinte… La vie se réveille mais une vie fragile, menacée, incertaine…