Penser comme une terre-mère : la place de l'homme africain dans son milieu

La place de l’homme africain dans son milieu.

 

Les médias ont si souvent associé l’Afrique à des images de sécheresse, de désertification, de récoltes anéanties, de famine, d’épidémies que ce continent a la réputation d’un continent maudit. Certes ces images ne sont pas tout à fait fausses quoique exagérément instrumentalisées au détriment de l’Afrique. Reconnaissons le, les nécessités du développement économique relèguent souvent au second plan les questions écologiques. Il y a là un paradoxe. La crise environnementale n'est pas réductible à une simple dimension technique. À cause de ses enjeux, de son ampleur, de sa complexité, elle ébranle la représentation courante de la place de l'être humain dans le monde et dans la nature.

 

Si nous partons des mythes relatant les origines du cosmos et de l'humanité, nous constatons qu’ils sont par essence fondateurs. Ils tentent moins d'expliquer les causes premières que de valider un état de fait. Aussi est-il rare que la Terre surgisse du néant. Qu'elle apparaisse au terme d'un développement de nature organique ou qu'elle soit engendrée par un acte de création. Sa matérialisation implique presque toujours des éléments préexistants. La représentation de la place de l’homme africain dans son milieu insiste surtout sur l’insertion et l’inclusion de ce dernier dans la nature. C’est le cas des Dogons des falaises nigériennes de Bandiagara[1].

 

En Afrique, la nature apparaît souvent comme hominisée et humanisée, inversement l'homme se définit en relation étroite avec le cosmos[2]. Les Dogons comme nous venons de le voir, restent très sensible aux liens qui l'unissent aux quatre éléments : l'eau qu'il boit, l'air qu'il respire, le soleil qui le réchauffe, la nourriture qu'il absorbe. D'après leur mythologie, le placenta d'Amma (Dieu) est la terre cultivée. « A la sortie du placenta (que l'on est obligé d'attendre pour dire que l'enfant est vraiment né), une des femmes qui ont assisté à l’accouchement prend de l'eau dans sa bouche et crache sur l'enfant par aspersion légère ; la fraîcheur de l’eau fait crier l’enfant qui vient de naître sur terre. Il a reçu officiellement la parole » [3]. Ce rite met en lumière l'importance de l'eau dans la formation de la parole. II s'agit de remettre symboliquement l'enfant dans l'élément eau (écosystème) qu'il vient de quitter et qui est la vie même, mais cette fois avec quelque chose de plus qui est le verbe. L’enfant trouve sa place dans un nouveau milieu (écosystème). La terre donne ainsi à la parole son poids et son sens. Quelle place va-t-il y occuper ?

La parenté homme/végétal ne fait aucun doute. Ainsi, toute plante, toute graine apparaît comme un être vivant, son cycle de reproduction étant lié à la fécondité humaine. Floraison, fructification reproduisent le cycle menstruel et l’enfantement. Un arbre produit-il des fruits sans que l'on puisse observer une floraison ? Il est alors le « signe » de la possibilité pour la femme de concevoir un enfant sans avoir revu ses menstrues depuis un précédent enfantement. Les grandes lois naturelles sont interprétées en fonction de l'homme ; il en est de même pour les moindres détails de structure : une graine est formée de parties distinctes que les Dogons nomment « cœur » (l'intérieur de la graine, les cotylédons), « bouche » (partie qui s'ouvre pour laisser sortir le germe), « nez » (le germe, le nez étant l'organe du souffle, donc de la vie), etc. La graine possède même une parole symbolique qui est sa germination.[4]

 

Les Nuer du Soudan nous offrent un saisissant exemple quant au lien vital entre l’homme et la terre. Un lien fait de contraintes, mais en même temps d’acceptation, comme si finalement la société était d’autant mieux structurée qu’elle était structurée par son milieu. En effet, « la terre étant assez vaste pour tout le monde, ils ne se posent pas de problèmes de possession. On tient pour dit que tout homme a le droit de cultiver derrière chez lui à moins qu’un autre y soit déjà, et qu’il peut choisir hors du village tout emplacement où un autre n’a pas déjà fait son jardin. Les nouveaux venus ont toujours de la famille sur place. »[5] Notre tradition ne saurait dissocier partage et respect de la terre. Ainsi, ce peuple dit primitif nous enseigne ce qu’est l’espace écologique. C’est le rapport entre communautés de vie organisé par les liens de l’homme et son  milieu. Le sol apparaît sans équivoque ici comme la Mère de tous les êtres animés. Les générations sont étroitement liées les unes aux autres du fait de leur participation à la terre, au point que les rites agraires et le culte des ancêtres occupent naturellement la plus grande place dans les cérémonies religieuses.



[1] Ainsi, pour les Dogons, avant le commencement des choses apparaît Amma. Le mythe de la création est lié à celui de la révélation de la parole aux hommes. Amma, le Dieu créateur, "père" des créatures, veut s'unir à la terre-mère, figurée par l'œuf du monde composé d'un double placenta, pour engendrer des êtres destinés à promouvoir sa création. Fécondés par la parole d'Amma, les premiers êtres sont créés. Deux jumeaux androgynes, dont l'un fait figure de révolté par rapport à l'autorité paternelle et l'autre de "sauveur". Mis à mort puis ressuscité, ce sauveur, Nommo, réorganise par son propre sacrifice le monde perturbé par les agissements de son frère-ennemi Yorougou, le renard. Yorougou apparaît le premier dans le monde, sortant du placenta originel sans l'autorisation de son père Amma, emportant avec lui dans l'obscurité primordiale un morceau de placenta qui sera notre terre, et sur lequel figurent les symboles graphiques, c'est-à-dire des « paroles en puissance ». Amma ne peut lui reprendre cette parole « volée », encore muette. Les traces de pattes des renards en sont les signes visibles, et leur langage muet exige une interprétation, une traduction en paroles humaines par la divination. (http://classes.bnf.fr\dossier\my-afriq.htm) –Ecritures africaines\mythe de naissance

[2] Rappelons qu'en zone soudanaise l’homme est généralement symbolisé par le soleil, la droite, le haut, le jour, l'intérieur, l’Ouest et le Sud, l’élevage et la chasse, l’eau, le village. La femme est symbolisée par la lune, la gauche, le bas, la nuit, l’extérieur, l’Est et le Nord, l’agriculture et la cuisine, le feu, la brousse... Inversement le monde est sexué. « C’est ainsi que le ciel est mâle, parce qu’il recouvre la terre, fonction qui constitue sa masculinité, tandis que la terre est réceptive, donc féminine et maternelle. « Recouvrir » signifie d’ailleurs encore de nos jours, chez les Peul, « épouser» A. HAMPATE BA, Aspects de la civilisation africaine, Prés. Afric., 1972, p. 128.

[3] Louis Vincent THOMAS, René LUNEAU, La terre africaine et ses religions. Traditions et changements. Harmatan, p. 117-118

[4] Louis Vincent THOMAS, René LUNEAU, oc.  p. 121-122.

[5] E.E Evans-Pritchard, Les Nuer. Description des modes de vie et des institutions politiques d’un peuple nilote. Traduit de l’anglais par Louis Dumont, Gallimard, 1994. p. 96.



12/12/2009
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